Les valises dans la gondole,
qu'elle prenait la main de son mari :
— Tu as eu raison, dit-elle.
On en peut varier a l'infini l'occasion,
le vertige spontané qui saisit le voyageur
débarquant à Venise reste toujours de cette qualité-là.
Instantanément tout a disparu.
Plus de souvenirs, plus de soucis, plus rien de la vie qui s'interpose.
L'ivresse est immédiate, totale et profonde.
On est pris, entraîné, arraché à la terre, enlevé sur des
ailes — on a soi-même des ailes ; les coussins si doux de la gondole
semblent des nuages sur lesquels on repose.
Demain? Nous verrons bien, il sera temps encore.
Mais soyons heureux, grisons-nous, glissons comme on court dans les rêves,
balançons-nous dans la souple barque noire comme on se berce au son des valses.
Et les palais défilent le long du canal, ainsi qu'au théâtre la toile roulée,
et qui simule un paysage traversé par un héros en marche.
Un monde irréel s'offre à nous ; pour la première fois, l'impossible est arrivé.
Tendons les mains pour le saisir!
Et il ne s'enfuit pas, il ne s'évanouit pas en fumée ; notre étreinte le serre ;
nous le tenons, le touchons, le caressons, il est à nous enfin.
(André Maurel)
Le valigie in gondola, lei prese la mano del marito:
- Avevi ragione, disse.
Si può cambiare l'occasione all'infinito, ma la vertigine spontanea
che coglie il viaggiatore quando sbarca a Venezia, rimane di questa qualità.
Immediatamente tutto scompare.
Niente ricordi, niente preoccupazioni,
nulla della vita che si interpone.
L'ubriachezza è immediata, totale e profonda.
Si è catturati, trascinati, strappati dalla terra, sollevati da ali
- abbiamo in noi stessi le ali; i cuscini morbidi della gondola
sembrano nubi su cui riposare. Domani? Vedremo, ci sarà tempo.
Ma cerchiamo di essere felici, noi così grigi, scivolando
come si corre nei sogni, ondeggiando nella morbida barca nera
come cullandosi a suon di valzer.
E i palazzi che sfilano lungo il canale, come una tappezzeria teatrale
che simula un paesaggio attraversato da un eroe in cammino.
Un mondo irreale si offre a noi; per la prima volta,
l'impossibile è accaduto.
Tendiamo le mani per afferrarlo! Non fugge, non svanisce come fumo,
il nostro abbraccio lo trattiene; lo tocchiamo, lo accarezziamo,
finalmente è nostro.
("Quindici giorni a Venezia", André Maurel)